Olivier et ses abeilles
Tout a commencé par une histoire d’amour : il a 12 ans, Olivier rencontre Christelle. Il découvre, auprès de son beau-père et d’un vieil apiculteur voisin de celui-ci, l’art de prendre soin des abeilles. Alain donne à son beau-fils son premier essaim, qu’Olivier l’auvergnat installe chez lui, à Saint-Germain-l’herm, un village entre Issoire et Ambert. Un rude pays à 900 mètres d’altitude, sauvage et hostile à l’agriculture : les abeilles d’Olivier, réunies en une dizaine d’essaims, y subsistent grâce aux noisetiers et aux saules marsaults, qui fournissent les premiers pollens, puis aux aubépines, aux merisiers sauvages et aux pissenlits qui font le lien à partir de juin avec les framboisiers, les ronces et les châtaigniers fournisseurs du nectar pour mieller. En fin de saison, le miellat de résineux est souvent au rendez-vous.
Olivier raconte d’une voix calme et précise sa vie dans le monde des abeilles, qu’il contrôle à distance, grâce à des capteurs qui lui permettent de suivre l’évolution du poids des ruches. Quand la récolte du miel s’annonce, il file de Paris en direction de l’Auvergne pour retrouver ses ruches. La production est très variable d’une année sur l’autre et d’une ruche à l’autre, mais elle peut aller jusqu’à 50 kg par ruche les années exceptionnelles… comme l’an dernier. La récolte n’est que l’un des multiples travaux dans l’entretien d’une ruche : il faut aussi changer régulièrement les cadres, traiter contre le varroa, une sorte de morpion bien pénible pour les abeilles que le très médiatique frelon asiatique, mettre en pots le miel récolté. Du temps, de l’argent mais aussi de la douceur : au fil du temps, Olivier a appris à manipuler les abeilles avec délicatesse, même s’il se prémunit du risque de piqûre avec au moins un voile sur le visage.
L’apiculture, c’est d’abord un langage aussi savoureux que le miel. Essaim, ruche, nectar, pollen, alvéole, cire, gelée royale, ces mots voluptueux nourrissent de nombreuses images hors du monde des abeilles. Et pourtant, quand Olivier creuse le sens des mots, c’est nettement moins romantique :
L’essaim est le nom donné à une colonie d’abeilles, qui se reproduisent d’ailleurs par essaimage : au bout de 2 à 4 ans, la reine accompagnée de la moitié de l’essaim d’origine part s’installer ailleurs et crée un nouvel essaim.
La ruche, c’est une invention des hommes pour loger un essaim et simplifier la récolte. Des cadres amovibles avec des feuilles de cire gaufrées sont utilisées par les abeilles pour y mettre du miel, du nectar ou des larves. Au moment de la récolte, il suffit alors de tourner la manivelle et de désoperculer les cadres de miel.
Le pollen est utilisé pour nourrir les larves d’abeilles.
Le nectar, un minuscule goutte d’eau avec un peu de sucre que produisent les fleurs dans des circonstances climatiques bien particulières, est la nourriture des abeilles. Là ça devient un peu moins appétissant : le nectar est récolté par les abeilles qui le gardent dans le jabot, une sorte de réservoir, et elles vont le régurgiter se le passer entre elles afin de l’assécher et en faire du miel. Pour résumer, le miel est du vomi de nectar.
Mieux encore dans le style gore, le miellat est du vomi de chiures de pucerons, même si on peut le dire de manière plus élégante : les pucerons sucent la sève des résineux et déjectent la sève préalablement digérée, récupérée par les abeilles.
Quant à la gelée royale, cette substance nacrée, véritable potion magique qui permet un développement record des larves élevées pour être des futures reines, est tout simplement une sécrétion de glandes des abeilles nourrices.
Le monde des abeilles, c’est aussi une forme de société, où l’articulation entre l’individu abeille et le collectif essaim est plus subtile qu’une certaine lecture politique simpliste nous laisse imaginer : une reine toute puissante qui se gave, des ouvrières esclavagisées qui triment jusqu’à la mort. Olivier évoque au contraire la démocratie des abeilles, d’après le livre éponyme de Thomas D. Seeley, traduit récemment en français (voir également l’émission radio de Jean-Claude Ameisen : https://www.franceinter.fr/emissions/sur-les-epaules-de-darwin/sur-les-epaules-de-darwin-05-janvier-2013).
Que ce soit dans les repérages d’un site pour implanter un nouvel essaim ou pour alerter du danger qui approche, le rôle de l’abeille individuelle est fondamental. Le choix du site se fait par consensus, au terme d’un ou deux jours de délibérations à partir des propositions de pionnières.
Le choix de la reine est également le fruit de discussions dont nous ne connaissons pas encore précisément les modalités. Il est néanmoins certain qu’une reine et une ouvrière sont semblables pendant les premiers jours. C’est le choix d’alimenter telle ou telle larve de manière différente qui va créer des super abeilles. Nourrie à la gelée royale, la première princesse qui devient reine tue les autres reines potentielles.
La solidarité entre abeilles est également visible lorsqu’un danger apparaît : l’abeille qui est la première en contact pique et lorsqu’elle meurt, elle dégage une odeur qui prévient ses camarades qu’il faut fuir.
La ruche, une source d’inspiration ? En tout cas une nouvelle illustration des limites de l’opposition binaire individu/ groupe. La Ruche, c’est d’ailleurs le nom d’une cité d’artistes dans le 15e arrondissement créée au début du XXe siècle.
Mais revenons au miel des Avettes d’Olivier et de ses abeilles, dont nous espérons qu’il ravira longtemps encore amapiens et amapiennes : merci d’avance à Christelle, qui assurera le lien entre Paris et l’Auvergne !
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